Tedeschi Trucks Band and Leon Russell – Mad Dogs & Englishmen Revisited – Live At Lockn’

Parfois, l’histoire de la musique devient tangible. Le 11 septembre 2015, lors du LOCKN’ Festival en Virginie, une soirée chaude se condense en quelque chose de plus grand que la somme de ses parties. Leon Russell, l’architecte mystérieux du légendaire cirque de Joe Cocker de 1970, est assis au piano. Sa santé vacille – il mourra un an plus tard – mais son esprit brûle encore de cette curiosité musicale infinie qui lui a valu le titre de “Maître de l’Espace et du Temps”.

Susan Tedeschi ouvre avec ‘The Letter’ et immédiatement, on sait que ce ne sera pas un exercice nostalgique de répétition. Sa voix, un instrument d’une puissance et d’une nuance inouïes, reprend respectueusement le modèle classique des Box Tops et le transforme en quelque chose qui se rebelle simultanément contre le passé. La slide guitar de Derek Trucks danse autour comme de l’argent liquide, chaque note imprégnée de l’esprit de Duane Allman mais animée par sa propre intuition inimitable. Ceci présage ce que sera cet album.

Le Tedeschi Trucks Band a toujours prouvé que la musique roots américaine n’a pas besoin d’être une pièce de musée. De leur sublime duo avec l’inoubliable Sharon Jones, dont on peut retrouver une version excellente de ‘Bring it on Home to Me’ sur YouTube, à leur capacité à tisser gospel, blues, rock et soul en une tapisserie sans couture, cette formation comprend que la tradition ne survit que par l’évolution.

Quand Dave Mason et Anders Osborne entament ‘Feelin’ Alright’, on sent le cercle se refermer. Mason, l’auteur original de ce chef-d’œuvre de Traffic que Cocker a interprété de manière si iconique, se tient aux côtés d’une nouvelle génération qui comprend son héritage sans en être prisonnière. C’est une leçon sur la façon d’honorer le passé sans s’y enchaîner, exactement ce que le Tedeschi Trucks Band a dans son ADN.

La surprise de Warren Haynes sur ‘She Came in Through the Bathroom Window’ des Beatles montre la portée de ce projet. Là où la tournée originale Mad Dogs & Englishmen de Cocker faisait s’estomper les frontières entre rock, soul et country, cette réinterprétation ajoute une sensibilité jazz et un americana moderne au mélange. Ce n’est pas une imitation ; c’est de l’interprétation au plus haut niveau.

Rita Coolidge et Claudia Lennear, survivantes de la tournée originale, apportent plus que leurs voix – elles portent l’histoire émotionnelle d’une époque où la musique pouvait réellement changer le monde. Leur présence sur ‘The Weight’ et ‘Bird On The Wire’ donne à ces enregistrements une profondeur mélancolique qui touche même l’auditeur le plus cynique. Chair de poule.

Les contributions de Chris Robinson sur ‘Sticks and Stones’ et ‘Space Captain’ prouvent une fois de plus pourquoi le frontman des Black Crowes a sa place dans toute discussion sur les meilleurs chanteurs rock américains. Sa chimie avec Tedeschi sur ‘Space Captain’ étincelle de respect mutuel et de télépathie musicale. Les bons musiciens ensemble sur scène font aussi ressortir le meilleur chez Chris Robinson.

La conclusion solo au piano de Russell avec ‘The Ballad of Mad Dogs and Englishmen’ sonne vulnérable, quelque peu fragile mais irrésistiblement sincère et est émouvante dans sa simplicité. C’est le dernier chapitre d’une histoire qui a commencé avec la génialité chaotique de Cocker et se termine par cet hommage raffiné.

‘Mad Dogs & Englishmen Revisited’ réussit là où la plupart des albums-hommages échouent : il respecte la source sans s’y limiter. Le Tedeschi Trucks Band montre une fois de plus pourquoi il incarne l’avenir de la musique roots américaine – non pas en copiant le passé, mais en le comprenant et en le transmettant à une nouvelle génération.

Un document essentiel d’histoire musicale vivante. Cet album est vivement recommandé. Un exercice magistral d’archéologie musicale qui fait vivre le passé sans le momifier. (9/10) (Fantasy Records)