L’aperçu des nouveaux albums : Yeule, Peter Gabriel et plus

Chaque semaine, des dizaines de nouveaux albums arrivent à la rédaction de Maxazine. Bien trop nombreux pour tous les écouter, encore moins pour les critiquer. Une critique par jour fait que trop d’albums restent sur l’étagère. Et c’est dommage. C’est pourquoi nous publions aujourd’hui un aperçu des albums qui arrivent à la rédaction sous forme de critiques courtes.

NinémiA – Weapons of Math Destruction

Qu’obtenez-vous quand vous réunissez des musiciens de Chypre, de Pologne, de Biélorussie et un batteur de Megadeth ? L’album de débuts ‘Weapons of Math Destruction’ de NinémiA – et quel voyage c’est. Christos Agathokléous, le cerveau chypriote derrière ce projet solide, a vraiment créé quelque chose de spécial ici. Dès l’ouverture ‘Psychotropic Plague’, vous savez immédiatement que quelque chose de lourd et de sans compromis vous attend. Le chanteur polonais Mikolaj Krzaczek ajoute une acuité intéressante à l’ensemble. Sa voix rappelle parfois l’excentrique Serj Tankian de System of a Down, ce qui fonctionne étonnamment bien avec l’approche plus sombre du groupe. Mais parlons de cette batterie. Dirk Verbeuren (Megadeth) est d’une précision chirurgicale sur les dix pistes. Son jeu est absurdement serré, qu’il martèle à travers les quatre minutes de ‘Same Old Story (S.O.S)’ ou qu’il ancre solidement le morceau-titre instrumental de onze minutes. Les parties de clavier de Derek Sherinian sur ‘The Acquired Savant’ apportent une couche supplémentaire bienvenue, tandis que des morceaux comme ‘Oppenheimer’ montrent clairement que le groupe n’évite pas les thématiques lourdes. Avec une durée de 70 minutes, c’est une sacrée séance, mais grâce à la variété, cela reste captivant. Cette collaboration internationale fonctionne – ‘Weapons of Math Destruction’ frappe fort et vous laisse affamé d’en vouloir plus. (Norman van den Wildenberg) (9/10) (Nimenia Records)

 

Danny Grisset – Travelogue

Le pianiste et compositeur américain Danny Grisset est l’un des musiciens les plus recherchés du jazz moderne et accumule depuis au moins vingt ans un nombre considérable d’heures de vol aux côtés de diverses grandes figures. Pourtant, sa carrière solo sur laquelle Grisset travaille depuis 2006 ne parvient pas vraiment à décoller à l’international. C’est étrange. Mettez ce ‘Travelogue’ et soyez de nouveau surpris par le jeu énergique et fluide et surtout le sens brillant du rythme et du timing. Accompagné du batteur Bill Stewart et du bassiste Vicente Archer, Grisset présente dix compositions principalement originales comme réflexion sur la vie d’un artiste de jazz itinérant. Tout voyageur fréquent – prenez ces ‘heures de vol’ très littéralement – le reconnaîtra : les moments de repos une fois arrivé à destination (‘Whisper Not’), contrastés avec l’agitation inévitable du voyage lui-même. Et toujours cette sensation d’être en route, de manquer la maison (‘The Long Way Home’), sans se sentir seul dans une nouvelle grande ville (‘The People in the City’). Néanmoins, nous avons parfois le mal du pays et nous nous perdons dans des pensées sombres (‘Here’s That Rainy Day’), mais il y a toujours un prochain voyage que nous attendons avec impatience (‘Spin Cycle’). Tout cela revient dans les dix pistes de ‘Travelogue’. Grisset sait parfaitement créer une atmosphère dans le costume classique du jazz de piano, basse et batterie. Un costume classique qui voyage partout et qui ne détonne nulle part. (Jeroen Mulder)(8/10)(Savant Records)

Peter Gabriel – Sophia Gardens

Plus de quarante ans après le concert original, Yard Stick a enfin officiellement sorti la performance de Peter Gabriel au Sophia Gardens Pavilion de Cardiff sur les services de streaming. Malheureusement, ils auraient mieux fait de s’abstenir. Ce qui circulait autrefois comme bootleg parmi les collectionneurs s’avère, sous forme officielle, toujours être une épreuve auditive. La qualité sonore est franchement abominable – une combinaison d’enregistrements mono rayés et de pistes stéréo poussiéreuses qui ressemblent plus à un magnétophone clandestin qu’à une diffusion radio professionnelle. La voix de Gabriel se noie régulièrement dans le mixage boueux, tandis que les instruments sonnent comme s’ils étaient joués à travers un coussin. Historiquement parlant, cet enregistrement est intéressant. Le concert a eu lieu peu avant la sortie de son album révolutionnaire ‘Melt’ et contient des versions précoces de futurs classiques comme ‘We Do What We’re Told (Milgram’s 37)’. Pour le véritable dévot de Gabriel, celui-ci est enfin accessible via les services de streaming. Pourtant, la question demeure : était-ce vraiment nécessaire ? Certains trésors restent mieux enterrés, et cet enregistrement aurait pu tranquillement rester dans le monde souterrain des bootlegs où il appartenait. (Jan Vranken)(5/10)(Yard Stick)

 

Becca Wilkins – Rêverie

Ce sont probablement les deux chansons les plus connues de Charles Aznavour : ‘La Bohème’ et ‘Emmenez-moi’. Pour ne pas dire que ce sont de vrais monuments qu’il faut manier avec beaucoup de précaution. Comme avec toutes les chansons françaises, il s’agit principalement du texte et de la façon dont vous le livrez, la musique est en fait subordonnée aux mots. La chanteuse londonienne Becca Wilkins ose sur ‘Rêverie’ interpréter non seulement Aznavour, mais aussi Brel, Piaf et Montand dans de nouvelles interprétations jazz. Une Britannique qui chante des chansons ? Pas de problème : Wilkins a grandi en partie en Normandie et maîtrise la langue ; il n’y a donc rien à redire sur la prononciation du français. Nous devons sur ce CD surtout parler des arrangements. Dans les originaux, ceux-ci sont souvent sobrement maintenus pour donner le plus d’espace possible au texte et donc de la force. Comme ils sont différents, les riches arrangements sur lesquels Wilkins fait entendre ces poèmes. La chanteuse est accompagnée par un trio qui verse une délicieuse sauce jazz sur les chansons. Pour la première fois depuis Aznavour, ‘Emmenez-moi’ touche de nouveau au cœur, grâce à l’arrangement de piano dans la première partie, l’entrée de la basse et de la batterie dans la deuxième partie, donnant soudain un ‘swing’, et puis cette belle voix de Wilkins. Ou ‘Amsterdam’ de Brel où Wilkins n’est accompagnée que par un roulement de tambour qui devient de plus en plus fort, plus pressant tout au long du morceau. Pièce de résistance – pour rester dans l’atmosphère – est ‘Hymne à l’amour’ de Piaf. C’est l’ouverture et la clôture de l’album. Dans l’ouverture, l’arrangement s’écarte fortement de la façon dont La Môme l’a confié à l’éternité, y compris en changeant de tonalités, mais dans la deuxième partie, la clôture, Wilkins reste tout de même proche de l’original. Avec Piaf, on ne peut pas être assez prudent. (Jeroen Mulder)(8/10)(Lamplight Social Records)

 

Yeule – Evangelic Girl is a Gun

Yeule, le projet musical de l’artiste singapourienne Nat Ćmiel, s’est développée ces dernières années pour devenir l’une des voix les plus intrigantes de la musique électronique expérimentale. Après le très acclamé ‘softscars’ (2023), yeule revient avec ‘Evangelic Girl is a Gun’, un album qui illustre parfaitement leur évolution artistique. L’album sonne particulièrement bien produit et présente un son moderne accessible, large et bien définissable qui tisse ensemble glitch-pop, alt-rock et trip-hop de manière transparente. Yeule a créé ici un son qui est à la fois expérimental et commercialement attrayant, sans faire de compromis sur leur vision artistique. Un point culminant absolu est ‘The Girl Who Sold Her Face’, une piste avec un groove irrésistible qui a même assez de potentiel hit pour atteindre le mainstream. À travers tout l’album plane l’esprit d’un David Bowie précoce, tant au niveau du feeling que du son – cette intensité théâtrale et cette expression genderfluid qui rendaient Bowie si iconique. Avec des mélodies hypnotisantes et une exploration fascinante de l’identité et de la transformation, ‘Evangelic Girl is a Gun’ est devenu un très bon album qui renforce davantage la position de yeule comme force innovante dans la pop contemporaine. (Jan Vranken)(8/10)(Ninja Tune)