Kokoroko – Tuff Times Never Last

Après trois années de silence, le septet londonien Kokoroko fait son retour avec « Tuff Times Never Last », un album qui évoque précisément une chaude soirée d’été en ville. Là où leur album de début « Could We Be More » (2022) s’enracinait encore solidement dans la tradition afrobeat-jazz, cette suite révèle un groupe qui élargit son horizon musical avec un courage surprenant. Le résultat est un voyage de 49 minutes à travers les plus beaux recoins de la neo-soul, du lovers rock et de la disco ouest-africaine.

Les leaders du groupe Onome Edgeworth et Sheila Maurice-Grey ont affiné leur son sans renier leur ADN afrobeat. « Tuff Times Never Last » puise dans la riche tradition du R&B britannique des années quatre-vingt, avec des clins d’œil évidents aux maîtres comme Loose Ends et Cymande. L’album semble être une évolution naturelle : là où leur précédent travail menaçait parfois de se noyer dans la complexité instrumentale, Kokoroko choisit désormais délibérément l’accessibilité et la puissance mélodique.

La production, confiée à Miles Clinton James, sonne cristalline et chaleureuse. Chaque instrument a l’espace pour respirer, tandis que la section de cuivres caractéristique du groupe file comme un fil d’or à travers les onze morceaux. C’est précisément cet équilibre entre virtuosité technique et légèreté ludique qui fait de « Tuff Times Never Last » une expérience d’écoute si contagieuse.

L’ouverture « Never Lost » donne immédiatement le bon ton : une jazz-fusion planante qui se fond harmonieusement dans « Sweetie », sans aucun doute l’un des moments forts de l’album. Avec le refrain « sweetie make me heartbeat bounce » et un groove neo-soul irrésistible, le morceau se présente comme une mise à jour de l’ère « Voodoo » de D’Angelo pour 2025. C’est le genre de titre qui évoque Erykah Badu dans ses meilleurs jours : soulful, espiègle et impossible à écouter sans bouger.

« Three Piece Suit », avec la participation d’Azekel, montre Kokoroko dans son moment le plus contemplatif. Le morceau honore les aînés nigérians qui cherchaient fortune à Londres dans les années soixante, une histoire racontée avec de subtiles harmonies chorales et de magnifiques cuivres flottants. La chanteuse invitée Demae brille sur « Time and Time », où elle ne plane pas au-dessus de la section rythmique mais s’y niche plutôt, chantant depuis le cœur battant de la musique.

Bien que « Tuff Times Never Last » convainque dans l’ensemble, l’album semble parfois un peu trop poli. Là où les performances live de Kokoroko sont réputées pour leur énergie brute et leur spontanéité, cet album sonne remarquablement retenu. Des morceaux comme « Da Du Dah » et « Closer To Me » manquent de l’étincelle qui rend leur meilleur travail si particulier, et risquent de sombrer dans une musique d’ambiance plaisante mais oubliable. La durée de certains morceaux aurait également pu être examinée plus rigoureusement. L’accord final « Over / Reprise » commence de manière prometteuse comme une méditation dub nocturne, mais s’étire finalement trop longtemps vers une finale de synthétiseur qui ambitionne plus qu’elle ne peut tenir.

Malgré ces petites réserves, Kokoroko parvient avec « Tuff Times Never Last » à saisir quelque chose d’essentiel : la force de la communauté et de l’optimisme en temps turbulents. L’album explore les dualités de la vie – joie et tristesse, jeunesse et sagesse, perte et persévérance – tout cela avec une maturité qui sied à un groupe dans sa phase de second album.

À une époque où le monde semble souvent d’un chaos incompréhensible, « Tuff Times Never Last » offre un rappel doux mais déterminé que les temps difficiles passent effectivement. C’est une musique qui réconforte sans être naïve, qui danse sans être insouciante. Pour qui recherche à la fois la profondeur émotionnelle et le groove pur, Kokoroko livre ici un album qui vous accompagnera tout l’été. (8/10) (Brownswood Recordings)