Gino Vanelli -The Life I Got (To My Most Beloved)

Il y a des moments où la vie écrit une histoire qu’aucun scénariste n’aurait pu imaginer. En 1975, un jeune Gino Vannelli chantait les paroles “Will I be strong or barely keep alive/When I’m thirty-five”, sans savoir qu’un demi-siècle plus tard, il sortirait cet album, un hommage à son épouse Tricia, récemment disparue. La vie a sa façon de nous surprendre, parfois avec de la joie, parfois avec du chagrin.

Cette voix qui, en 1974, avait stupéfié le monde avec “People Gotta Move” – un morceau qui repoussait les frontières entre jazz, rock et pop d’une manière qui impressionnait même les musiciens de session les plus aguerris – résonne maintenant à travers les enceintes avec une autre histoire. Toujours aussi puissante qu’à l’époque, comme en témoignaient ses concerts impressionnants aux Pays-Bas en mai 2024. Dans un MGE Eindhoven comble, se tenait un homme de 72 ans qui entraînait encore sans effort son public dans un voyage musical sur trois octaves, sa voix défiant le temps comme un instrument intemporel.

Qui aurait pu imaginer qu’à peine six mois plus tard, cette même voix nous toucherait d’une manière totalement différente ? Sur son 23ème album, “The Life I Got (To My Most Beloved)”, nous découvrons un Vannelli qui subordonne sa maîtrise technique à quelque chose de plus fondamental : l’émotion pure et brute. La majorité des chansons est née pendant la maladie de son épouse Tricia, ce qui explique la profondeur émotionnelle de l’album. Le titre éponyme traverse l’âme comme une lame dans du pain chaud. “I just wanna wake up in the morning, with you by my side” – ce sont des paroles qu’il chante d’une voix brisée par le désir, un désir qui ne sera plus jamais assouvi. C’est un moment d’une honnêteté si désarmante que l’auditeur a presque envie de détourner le regard, comme s’il était témoin de quelque chose de trop intime.

À travers toute cette tristesse transparaît aussi le talent de conteur de Vannelli, particulièrement dans “It’s All Good Mama” – un récit presque cinématographique de son premier voyage à New York adolescent, complete avec des bancs de parc en guise de lit et une leçon improvisée de sciences sociales dans un bar clandestin. C’est Tricia elle-même qui avait insisté pour inclure ce morceau sur l’album, un détail petit mais significatif qui souligne davantage le caractère personnel de ce disque.

Pourtant, il y a des moments où l’on se demande si Vannelli ne se dessert pas lui-même. La production, largement enregistrée avec Pro Tools, dégage par moments cette sensation caractéristique de “home studio” que l’on connaît des maquettes – un choix étrange pour un artiste dont le travail précédent brillait justement par sa sonorité riche et organique. Cela rappelle ces premiers enregistrements numériques des années 80, quand même les artistes établis luttaient encore avec la perfection froide des zéros et des uns. Là où un album comme “Brother to Brother” débordait d’énergie live, celui-ci ressemble parfois à un concert de salon intime mais peut-être trop retenu.

La pochette raconte une histoire similaire. Elle a quelque chose d’une création Photoshop assemblée à la hâte, le genre d’artwork qu’on attendrait davantage d’un premier album indépendant que du 23ème opus d’une légende vivante. Cela s’inscrit dans un schéma – quiconque a vu récemment les clips vidéo de Vannelli reconnaîtra cette même esthétique DIY qui, bien que charmante dans son aspect brut, ne rend pas entièrement justice à un artiste de ce calibre.

“Good Neighbors” offre un moment de répit, un aperçu de l’ancien Vannelli dont les grooves faisaient bouger même l’auditeur le plus rigide. Mais c’est “Keep On Walking” qui clôt dignement l’album – un morceau qui rappelle les arrangements épiques de ses premiers travaux, mais maintenant imprégné d’une sagesse qui ne vient qu’avec la perte.

“The Life I Got (To My Most Beloved)” est comme une lettre trouvée un jour de pluie – pas parfaitement pliée, peut-être un peu froissée, mais avec des mots qui viennent directement du cœur. Ce n’est pas un chef-d’œuvre technique, mais c’est un album qui fait impression, qui révèle le pur musicien qu’est Vannelli. Parce qu’il ne peut pas faire autrement. (7/10)(COA Productions)