Entre les parkings poussiéreux et les horizons infinis de l’Idaho, Trevor Powers se déplace tel un troubadour moderne. Après son retour en 2023 avec le brut “Heaven Is a Junkyard”, il guide maintenant Youth Lagoon à travers les carrefours de la mémoire et du mythe. “Rarely Do I Dream” est né d’une boîte de cassettes VHS oubliées, découverte dans un grenier où le temps semblait s’être arrêté – une découverte archéologique qui a ramené Powers aux chasses aux œufs de Pâques, aux moments du bain et aux rires dans le jardin, capturés dans des images pixélisées d’une époque révolue.
La production, avec Rodaidh McDonald aux commandes, explore de nouvelles frontières. Là où le piano occupait autrefois le centre de la scène, c’est maintenant la guitare qui prend les devants. Les lignes de guitare d’Erik Eastman traversent le mix comme une lumière néon dans l’air du désert, tandis que les synthétiseurs s’accumulent comme les couleurs d’un coucher de soleil. Le résultat final évoque un polaroid délavé qui prend lentement vie, avec des arrangements qui flottent entre tradition folk et électronique onirique.
“Gumshoe (Dracula from Arkansas)” montre Powers à son meilleur – sa voix flotte comme une étrange station de radio dans la nuit, tandis que la musique entremêle des éléments western avec l’indie-rock contemporain. Les paroles évoquent un monde de serveuses portant leur tablier à l’envers, de danseuses de pole dance flirtant avec des pasteurs, et d’hommes cachant des magazines Playboy sous leur siège de voiture. Powers écrit comme un réalisateur qui mélange la mythologie américaine avec l’histoire personnelle.
“Lucy Takes a Picture” dépeint des personnages vivant dans l’ombre des stations-service et des diners isolés, même si parfois il manque la franchise brute de ses œuvres antérieures. La production brille peut-être trop ici, alors que ses travaux précédents excellaient dans leurs imperfections. “Canary” forme un pont entre passé et présent, avec une explosion qui sonne comme un orage au-dessus de l’asphalte – un moment où l’expérience de Powers en tant que producteur et son instinct de conteur se rejoignent parfaitement.
Pourtant, “Rarely Do I Dream” perd parfois son emprise sur l’auditeur. Les vieux films de famille qui ont servi d’inspiration créent une brume qui entrave l’intimité. L’album excelle dans ses arrangements et sa narration, mais manque la tension sous-jacente qui rendait le meilleur travail de Youth Lagoon si particulier. Là où Powers abordait autrefois directement ses peurs et ses incertitudes, il raconte maintenant des histoires qui observent plus qu’elles ne révèlent.
Ce cinquième album montre un artiste qui a grandi techniquement, mais qui a laissé en chemin une partie de sa beauté brute. Le chanteur semble plus confiant, mais cette assurance se fait au détriment de la vulnérabilité qui rendait autrefois sa voix si poignante. Le résultat est un voyage de soixante-dix minutes à travers une Amérique à la fois réelle et imaginaire – un périple qui impressionne mais ne touche pas toujours.
Powers conclut l’album avec un collage de fragments VHS sur des sons de piano, où sa voix d’enfant apparaît : “This is Trevor’s story.” Ces dernières minutes soulignent l’enjeu : la tension entre qui nous étions et qui nous devenons, entre raconter des histoires et les vivre. “Rarely Do I Dream” est une œuvre ambitieuse qui explore cette tension, sans toujours la résoudre. Le résultat est une évolution fascinante mais pas totalement réussie dans l’univers musical toujours grandissant de Powers. (7/10)(Fat Possum Records)