Tori Amos – Diving Deep Live

La première chose qui frappe lorsqu’on lance “Diving Deep Live”, c’est la qualité des enregistrements. Voilà : c’est ainsi que ça doit être. Riche, avec une attention particulière pour chaque instrument.

Mais ce n’est pas pour cela qu’on achète un album de Tori Amos : même sur l’appareil le plus rudimentaire, les paroles et les compositions vous touchent avec la force du premier amour qui vous faisait trembler sur vos jambes et vous faisait réaliser que ce tout premier baiser resterait gravé dans votre mémoire pour le reste de votre vie. Cela s’applique particulièrement aux morceaux immortalisés sur cet album live. Ce sont tous des baisers, parfois prudents, doucement sur une joue, parfois inévitablement en plein visage, mais toujours justes.

Le dernier album studio d’Amos est sorti en 2021 : “Ocean to Ocean”, une référence au fait que l’auteure-compositrice se trouvait elle-même en Grande-Bretagne alors que sa famille était aux États-Unis, pendant qu’une pandémie tenait le monde dans son emprise et que ce même monde retenait son souffle en voyant une foule furieuse prendre d’assaut le Capitole. Comme d’habitude, Amos n’a évité aucun thème sur “Ocean to Ocean” : l’amour personnel et le deuil, les problèmes sociaux et la politique – tout y passe. Amos a écrit les chansons de cet album pendant le confinement, où elle a vécu plus d’un an en isolement. Mais surtout, les chansons ont été façonnées par une perte immense : sa mère et sa meilleure amie sont décédées en 2019.

Les enregistrements de “Diving Deep Live” ont été réalisés pendant la tournée Ocean to Ocean : on pourrait s’attendre à retrouver beaucoup de morceaux de cet album dans cet enregistrement live, mais à l’exception du titre éponyme, c’est surtout une rétrospective complète de l’œuvre immensément riche d’Amos.

Pour mettre en lumière “Ocean to Ocean” : dans sa version live, c’est devenu un morceau de plus de huit minutes avec un rôle principal pour la basse fretless de Jon Evans, fidèle soutien musical. Pendant des minutes, on se noie dans le jeu d’Evans et le piano d’Amos. Il n’y a qu’une chose à faire : fermer les yeux et se laisser emporter par les eaux de cet océan immense, dans les profondeurs où Amos partage lentement, morceau par morceau, ses tourments intérieurs, tandis qu’on est constamment ballotté entre l’attention portée au jeu de piano et son timbre de voix caractéristique, tous deux également pénétrants.

La révélation d’Amos commence pour la plupart des fans en 1992, avec “Cornflake Girl”. C’est l’un des rares tubes sur “Diving Deep Live” qui s’étend de ce matériel précoce jusqu’aux œuvres plus récentes, avec un choix de perles connues, moins connues et franchement presque inédites qui étaient restées cachées pour les auditeurs moins expérimentés d’Amos. “Pandora’s Aquarium” par exemple : le jeu de piano dans la première partie qui révèle indéniablement la formation classique, puis une ligne vocale envoûtante, où la comparaison avec une jeune Kate Bush s’impose. Et puis le menaçant “Code Red” où Amos se pousse vers la destruction avec “A six-pack of Coke and a bottle of Jack” – et sonne exactement ainsi. Tous les morceaux sont interprétés avec une intensité incroyable et sans exception dans de magnifiques versions qui rendent justice aux compositions originales. “Spring Haze”, qui parle de comment les gens peuvent se retrouver piégés et étouffés dans une relation, est apparu sur “To Venus and Back” en 1999, avec une durée d’à peine cinq minutes. En live, il devient un monument de plus de onze minutes. Cela ne lasse pas une seconde, au contraire. C’est plus qu’une interprétation d’émotions : c’est une pure mise à nu sur scène. Oser se mettre à nu comme si vous étiez seul sur scène : c’est le véritable art. La photo sur la pochette est à cet égard, tout comme le titre, également bien choisie.

“Diving Deep Live” sera pour les fans de délicieuses retrouvailles avec une amie avec qui on peut partager les bons et les mauvais moments. Pour d’autres, ce sera un premier baiser. Mais un de ceux qui vous resteront toujours et qui, de temps en temps, vous feront trembler sur vos jambes. (9/10) (Decca Records).