Il existe peu d’artistes dans la musique électronique qui ont acquis autant de crédibilité que The Orb. Lorsqu’Alex Paterson et Jimmy Cauty ont commencé à jouer des sets ambient dans la salle de détente du Heaven en 1988, ils ont involontairement posé les fondations d’un genre entièrement nouveau. L’ambient house est née d’une pensée simple: et si les ravers qui sortaient en titubant des clubs à six heures du matin, épuisés et chimiquement perturbés, pouvaient aller quelque part où le rythme s’adoucissait mais le voyage se poursuivait?
Près de quatre décennies plus tard, Paterson, maintenant avec son partenaire permanent Michael Rendall à ses côtés, continue de répondre à cette question. “Buddhist Hipsters”, le dix-huitième album studio de The Orb, est un album qui connaît ses racines mais n’est pas prisonnier de la nostalgie. Il commence par un rêve: un escalier mécanique descendant des nuages, des bouddhistes et des hipsters côte à côte, Roger Eno faisant signe d’en haut. Cette vision surréaliste devient réalité en dix morceaux qui emmènent l’auditeur dans un voyage de 77 minutes à travers des vallées dub, des cyclones drum and bass et de la house music qui flotte comme de la fumée à travers un intérieur de club illuminé.
“Spontaneously Combust” s’ouvre avec la guitare reconnaissable de Steve Hillage, un vétéran qui figurait déjà sur “U.F.Orb”, et les synthés EMS vintage de Miquette Giraudy. C’est une déclaration: voici The Orb tel que vous le connaissez, mais avec de nouvelles astuces. Les voix inversées et cet ‘échantillon secret’ des caves du Book and Record Bar de West Norwood donnent au morceau une mystique ludique qui a toujours été la marque de fabrique de Paterson. Là où d’autres utilisent des samples pour une gratification instantanée, Paterson sait les transformer en nouveaux récits.
L’album se déplace avec un rythme naturel entre différentes ambiances. “P~1” explose en drum and bass cosmique, un mélange de genres qui serait désastreux dans des mains moins capables, mais qui ici semble être une évolution logique. “Baraka”, une ode à un rhinocéros kényan aveugle, pulse avec la nostalgie des synthés de la fin des années soixante-dix, tandis que “A Sacred Choice” entre pleinement en territoire reggae avec Youth à la basse et Paul Ferguson à la batterie. C’est ici que la jeunesse de Paterson à Brixton, imprégnée de roots et de dub, remonte à la surface.
“Arabebonics”, le mot inventé par le rappeur Rrome Alone, est peut-être le moment le plus ambitieux. Du hip-hop d’influence orientale avec des cordes de Violetta Vicci; sur le papier, cela ressemble à une recette pour un chaos prétentieux, mais l’exécution est étonnamment ancrée. Paterson et Rendall comprennent le jeu de tension et de relâchement, de complexité et de simplicité.
La vraie magie se produit cependant dans le dernier quart. “The Oort Cloud (Too Night)” prend le classique lovers rock de Trevor Walters et le transforme, Rendall a isolé les voix avec Logic, en un voyage deep house new-yorkais qui vous transporte directement sur la piste de danse du Paradise Garage. “Doll’s House” est, comme Mojo l’a justement noté, peut-être le morceau house le plus pur que The Orb ait jamais fait: tourbillonnant, complexe, hypnotique.
L’album se termine par deux morceaux ambient monumentaux. “Under The Bed”, avec Andy Falconer, va si profond que l’on devient presque claustrophobe, mais dans le bon sens, comme si l’on voyageait à travers un trou de ver. Et puis “Khàron”, nommé d’après la lune de Pluton, où le piano dépouillé de Roger Eno peint l’univers comme un organisme vivant et respirant. C’est de la musique ambient dans sa forme la plus pure: l’espace comme instrument, le silence comme élément de composition.
Mais soyons honnêtes: tout ne fonctionne pas aussi bien. Avec une durée de plus d’une heure et dix morceaux divers, il y a des moments où l’album perd sa concentration. “It’s Coming Soon” semble être une concession forcée à l’accessibilité, les arpèges et les voix de Caine sont corrects, mais manquent de l’audace des morceaux environnants. Et bien que le défilé de musiciens invités soit impressionnant sur le papier, l’album semble parfois être un rassemblement amical plutôt qu’une vision animée. Là où “Adventures Beyond the Ultraworld” semblait être une déclaration cohérente, “Buddhist Hipsters” est davantage une collection de beaux moments.
La tendance de Paterson vers l’éthéré, les bouddhistes sur les escaliers mécaniques, les planètes comme muses, peut aussi parfois distraire de la musique elle-même. L’emballage conceptuel est charmant, mais pas toujours nécessaire. The Orb est au sommet de sa forme lorsque la musique parle sans notes de bas de page mystiques. Néanmoins: c’est un album qui prouve que l’expérience et l’enthousiasme juvénile n’ont pas besoin d’être opposés. Paterson et Rendall ont créé quelque chose de thérapeutique et d’intemporel, des ‘vacances pour la tête’ comme ils le disent eux-mêmes. Dans un monde qui semble de plus en plus chaotique, “Buddhist Hipsters” offre ce que The Orb a toujours offert: une échappatoire, un moment de paix, un sourire cosmique.
Ce n’est pas un retour à la gloire de “U.F.Orb”, mais ce n’est pas nécessaire. C’est un nouveau chapitre d’un groupe qui sait encore comment brouiller la frontière entre danse et contemplation. (8/10) (Cooking Vinyl)