Pa Salieu – Afrikan Alien

Dans la riche tradition des artistes qui naviguent entre les cultures, Pa Salieu s’impose comme une voix particulièrement puissante. ‘Afrikan Alien’, son nouvel album, est plus qu’une création musicale – c’est une exploration profonde d’une identité fragmentée qui culmine en une acceptation de soi triomphante. Dans la scène musicale londonienne en constante évolution, où Little Simz a récemment ouvert les portes de la reconnaissance mondiale avec son travail intelligent transcendant les genres, Pa Salieu se présente comme la prochaine voix capable de porter ce flambeau. Là où Simz a fait s’estomper les frontières entre le jazz et le hip-hop, Salieu apporte une fusion encore plus complexe : un mariage entre l’énergie brute des rues londoniennes et la spiritualité ouest-africaine. Dans une scène qui prend constamment de nouvelles formes, où des artistes comme Knucks et Enny repoussent chacun les limites à leur manière, Salieu se distingue par sa capacité à transformer la drill et la trap en quelque chose à la fois accessible et artistiquement stimulant.

Né à Coventry en Angleterre, mais élevé par sa grand-mère en Gambie avant de retourner au Royaume-Uni, Salieu incarne la complexité d’une jeunesse transnationale. Là où ce grand écart culturel devient pour beaucoup une source de déracinement, Salieu transforme ses expériences en une œuvre d’art qui non seulement reconnaît ses deux mondes, mais les élève. ‘Afrikan Di Alien’, le morceau d’ouverture, donne immédiatement le ton de cette synthèse culturelle. La voix de Salieu, mûrie et pleine d’une autorité naturelle, navigue sans effort entre le wolof gambien et l’anglais britannique, tandis que la production entrelace les rythmes traditionnels Sabar avec les beats trap contemporains. La participation de Black Sherif ajoute une dimension panafricaine qui renforce ce sentiment de retour aux sources.

Sur ‘Allergy’, cette fusion atteint son apogée. Ici, Salieu crée une langue personnelle qui ne cache pas son identité partagée mais la célèbre. Le mantra “I’m allergic to the bad vibes” résonne comme une incantation, une expulsion thérapeutique des vieux démons. La production, avec son mélange hypnotique d’éléments traditionnels et modernes, souligne ce sentiment de purification. ‘Dece (Heavy)’ constitue le cœur émotionnel de l’album. Le morceau pulse d’une énergie qui semble émaner directement des rues de Serrekunda et de Coventry. C’est ici que la capacité de Salieu à transformer la drill et la trap en quelque chose de transcendant devient la plus évidente – une prouesse artistique qui illustre parfaitement sa compréhension des deux mondes.

La production de l’album témoigne d’une profonde compréhension de l’héritage musical. Des influences amapiano sur ‘Big Smile’ à la chorale gospel sur ‘YGF’, chaque élément résonne avec tradition et innovation. La contribution d’ODUMODUBLVCK sur ‘Big Smile’ s’apparente à une conversation entre âmes sœurs partageant la même complexité culturelle. Là où beaucoup d’artistes luttent avec leur dualité culturelle, Salieu l’embrasse comme source de force. Les 21 mois qu’il a récemment passés en détention semblent n’avoir fait qu’aiguiser cette conscience de soi. Sur ‘Afrikan Alien’, nous entendons un artiste qui ne flotte plus entre les identités, mais s’est développé comme un pont entre les mondes.

En seulement 27 minutes, Pa Salieu parvient à raconter une histoire qui englobe plusieurs générations d’expériences de la diaspora. C’est un album qui résonne à la fois personnellement et universellement, un témoignage de la façon dont le déracinement culturel peut se transformer en triomphe artistique. À une époque où l’identité et l’authenticité sont des thèmes centraux du débat culturel, Salieu présente un modèle magistral de la façon dont cette complexité peut être embrassée et transcendée.

C’est un album qui doit encore prouver sa place dans l’histoire, mais qui apparaît déjà comme un document essentiel d’un artiste ayant su transformer sa lutte personnelle en art universel.(9/10)(Warner Music UK)