Natalie Merchant – Keep your Courage

Les mélomanes qui ont consciemment vécu les années 1980 se souviendront peut-être de Natalie Merchant comme de la chanteuse du groupe de rock universitaire 10 000 Maniacs. En France , le groupe n’a jamais vraiment percé auprès du grand public, mais aujourd’hui encore, une chanson comme, par exemple, ‘ What’s the matter Here’ vaut vraiment la peine d’être écoutée. Je mentionne cette chanson explicitement ici pour te mettre au défi d’écouter ce morceau à titre de comparaison, à l’avance, avant de soumettre ‘ Keep your Courage’ à un premier essai.

Après son passage au sein de 10.000 Maniacs, Merchant s’est lancée dans une carrière solo en 1993. Avec son premier album de 1995, Tigerlily, Merchant a montré qu’elle n’était pas seulement une chanteuse douée, mais qu’elle possédait aussi la capacité d’écrire de belles chansons pop introspectives. ‘I may know the Word’, extrait de cet album, est un exemple de l’esprit ‘Merchant’. Merchant sait mettre dans sa musique une ambiance décontractée comme nulle autre et la combiner avec des trouvailles de composition à la fois rêveuses et pointues, qui évoquaient déjà à l’époque des souvenirs d’auteurs-compositeurs légendaires comme Carole King et Joni Mitchell. Pourtant, Merchant n’a jamais réussi à atteindre le même statut légendaire que King et Mitchell. Aujourd’hui, Merchant a sorti l’album ‘Keep your Courage’, sa première œuvre originale depuis l’album ‘Natalie Merchant’ de 2014, après quoi elle a sorti du matériel, mais il s’agissait de rééditions avec peu d’œuvres nouvelles.

Sur ‘Keep you Courage’, il y a dix nouvelles chansons, toutes sauf ‘Hunting the Wren’ et ‘Spring & Fall, to a young child’ écrites par Merchant. Spring & Fall’ est basée sur un poème de Gerard Manley Hopkins, un poète anglais et jésuite du dix-neuvième siècle. Merchant a dédié l’album à l’auteure américaine Joan Didion, décédée en 2021, surtout connue pour son travail sur le thème de la désintégration sociale de grande ampleur. L’album a été écrit et créé au moment de la pandémie de corona. Merchant a pris son temps pour le réaliser. L’album a été enregistré entre octobre 2021 et les enregistrements se sont achevés en février 2022. Un luxe dans l’industrie musicale d’aujourd’hui. Malgré le cadre temporel dans lequel l’album a été créé, qui sera à jamais connu pour la pandémie, la guerre et les troubles sociaux, Merchant a cherché à contrebalancer précisément cela en faisant un album sur la force primale qu’est l’amour. Une force qui continue à faire surface malgré tout. Et non, cet album n’est pas devenu un album d’amour cliché de mauvais goût. Merchant s’est élevé au-dessus de lui-même en écrivant ces plus beaux textes, intelligents, pleins d’âme et d’une authenticité audacieuse qui est non seulement presque inaccessible à l’époque hédoniste dans laquelle nous vivons, mais qui fait également preuve de courage.

L’album s’ouvre sur deux chansons sur lesquelles Merchant chante avec Abena Koomson-Davis. ‘Big Girls’ est une mélodie vraiment magnifique, qui s’enroule autour d’un arrangement superlatif. L’arrangement des cuivres de John Mills se marie à merveille avec l’arrangement des cordes de Stephen Barber, créant une synergie qui ne fait que mettre en valeur les magnifiques voix féminines. Écoute à nouveau “I May know the Word” sur “Tigerlily” et remarque à quel point une voix peut vieillir en beauté. Merchant a maintenant 60 ans et sa voix est plus belle que jamais. Elle chante avec une aisance enviable. La voix de Merchant se marie parfaitement avec celle de Koomson-Davis. Sur le deuxième morceau ‘Come on, Aphrodite’, l’indulgence musicale et vocale se poursuit. S’il s’agit d’un signe avant-coureur de ce que cet album a encore à offrir, ce sera une surprise.

Il s’avère que ce n’est qu’un prélude à un album phénoménal qui s’améliore à chaque écoute. Écoutez la chanson ” Sister Tilly “, qui dure plus de sept minutes, avec un arrangement orchestral où l’amour de la musique transparaît. La voix de Merchant a développé un si beau timbre au fil des ans, avec un petit côté rock très fin qui me va droit au cœur et fait mouche. Mets tes écouteurs et écoute comment la clarinette s’entrelace avec les cordes. Écoute cette beauté les yeux fermés. Et puis soudain, un interlude où le tempo s’accélère . Merveilleux.

On pourrait couvrir tout l’album de cette façon. Une chanson est encore plus belle et plus intense que l’autre. Merchant y a manifestement mis tellement d’amour qu’on peut l’entendre de façon palpable dans notre cœur quand on l’écoute.

Bon, nous reprenons avec “Tower of Babel”. C’est la chanson la plus rapide de l’album. Quand tu t’émerveilles devant cet arrangement de cuivres dément, que tu sais qu’il a été conçu pour Merchant par le tromboniste Steve Davis, qui a déjà joué dans les Jazz Messengers d’Art Blakey et dans l’Origin de Chick Corea, tu as une idée du niveau auquel cet album a été réalisé.

Natalie Merchant a créé avec ‘Keep Your Courage’ un album monumental qui ne cessera sans doute de s’enrichir dans les temps à venir. Un album pour lequel le temps a été pris a à voir avec beaucoup d’amour et un artisanat musical de premier ordre. Un album, aussi, qui vous prend à la gorge en tant qu’auditeur pour ne jamais le lâcher, bien qu’avec amour et détermination. Voilà, le miracle qu’est la musique. Laissez Natalie Merchant vous kidnapper. Fermez les yeux et ne les rouvrez qu’au petit matin. Un chef-d’œuvre absolu. Bravo ! (10/10)(Nonesuch Records)

Tagged: