Fin août, Mitski a annoncé son septième album, “The Land Is Inhospitable And So Are We”. La chanteuse américaine a proposé le single ‘Bug Like an Angel’, en guise de spoiler pour l’album. À première vue, il s’agit d’un choix remarquable. Maintenant que nous connaissons l’ensemble du disque, nous ne le comprenons que trop bien. Bug Like An Angel” est à première vue une simple chanson à la guitare, avec une touche de piano. Mitski chante comme nous l’attendons d’elle. Mais la chanson prend une tournure totalement différente lorsqu’une véritable chorale prend le relais sur les refrains. Un twist, petit dans le temps, mais qui a un impact immense sur la chanson. Un exemple pour le reste de l’album.
Dans “Bug Like An Angel”, le protagoniste solitaire noie sa tristesse dans l’alcool. Plus abstraitement, le solitaire est pris en charge (et sauvé ?) par le refrain, la société, “l’amour”. C’est aussi l’obscurité contre la lumière. La douleur contre l’amour. La maladie contre la guérison… une table des matières presque cachée pour l’album, sur lequel Mitski travaille très fortement les côtés contradictoires de la pièce de monnaie (de la vie). The Land Is Inhospitable And So Are We’ est donc un album très varié et émotionnellement profond, qui mérite qu’on lui consacre tout le temps et l’espace nécessaires.
Un disque avec de petites et de très grandes torsions musicales, entre et dans les chansons elles-mêmes. De la petite musique d’auteur-compositeur-interprète, avec un accompagnement minimal de guitare, de piano et éventuellement de cordes. Jusqu’au très grand, avec un chœur de 17 personnes et même un orchestre complet, dirigé par Drew Erickson, également connu pour son travail avec Weyes Blood, Lana del Rey et Angel Olsen, pour n’en citer que quelques-uns….. Cela rend certaines chansons légèrement théâtrales, mais jamais grandiloquentes. Mitski et Erickson ont pris soin de voir jusqu’où ils pouvaient aller, pour rester du bon côté de la ligne artistique. Parfois, ils se contentent d’ajouter une couche supplémentaire. Mais il arrive aussi que l’orchestre prenne le contrôle d’une chanson lors de la montée en puissance et de l’apogée, comme dans ‘The Deal’. Ils n’hésitent même pas à utiliser des chiens qui aboient ou une vieille machine à écrire qui fait tic-tac….
Les lignes vocales sont clairement celles de Mitski. Parfois “juste” mélodiques, parfois avec sa signature d’étirement et de compression des mots pour rester dans la ligne. Sur “The Land Is Inhospitable And So Are We”, elle utilise toute l’étendue de son spectre vocal. Et non, elle n’est toujours pas le rossignol des chanteurs. Mais la bonne utilisation de sa voix, combinée aux paroles et aux arrangements, crée une alchimie unique dans chaque chanson. Dans les quatre premières chansons, elle développe de plus en plus son expression vocale, jusqu’à attirer émotionnellement toute l’attention sur elle dans ‘I Don’t Like My Mind’ (titre clair…).
Les chansons de “The Land Is Inhospitable And So Are We” ne sont pas toutes nouvelles. Avec son producteur habituel, Patrick Hyland, elle les a laissées mûrir pour en faire ce qu’elles sont devenues aujourd’hui. En tant qu’auditeur, on s’imagine toujours dans un endroit différent au cours du processus. Grâce à l’utilisation de cordes légères, de piano et de lignes vocales discrètes, on se retrouve parfois à réfléchir dans son salon, comme dans “The Frost”, qui parle d’un amour qui semble perdu. D’autre part, on a l’impression d’être dans un petit pub. Avec une scène sur laquelle elle partage de manière expressive (elle sait vraiment chanter !) son histoire avec le public qui l’écoute avec impatience sur des chaises et des tabourets, comme sur ‘Heaven’ et ‘My Love Mine All Mine’. Une guitare en acier y ajoute une touche américaine. Mitski lui-même le qualifie d’ailleurs de “mon album le plus américain”.
Et puis il y a la grandeur : une grande scène pour l’orchestre, pour la chorale. Grand, grandiose. Votre lieu de prédilection ? Je n’en sais rien… c’est étrange. Le paradis existe-t-il ? Eh bien, quelque chose comme ça. L’évasion. Comme dans “Star” : “”Cet amour est comme une étoile – Elle est partie, nous la voyons juste briller – Elle a voyagé très loin – Je garderai une lumière restante – Brûlant pour que tu puisses continuer à regarder vers le haut – Est-ce que ça ne vaut pas la peine de s’accrocher ?”
L’album se termine en beauté avec ‘I Love Me After You’, qui se déroule comme un film. Sombre, inquiétant, dramatique. Avec un final qui laisse tout à notre imagination… Alors, est-ce que ‘The Land Is Inhospitable And So Are We’ était aussi un film ? Peut-être… Mais chaque sentiment de base était plus que fidèle à la réalité : chaque appel à l’attention, chaque coup de poignard de douleur, chaque perte et chaque amour, sous une forme ou sous une autre. Mais Mitski vous a transporté dans un nouvel univers, où vous avez été autorisé à séjourner pendant un moment. Avant de revenir sur notre propre terre. Où l’on se rend compte que l’on a écouté un véritable chef-d’œuvre.
10/10 (Dead Oceans)