Dans les rues poussiéreuses de Bamako, où les charrettes à bras se faufilent dans la foule et les vendeurs de mouchoirs vantent leurs marchandises, l’un des albums de blues du désert les plus profonds de ces dernières années est né dans des circonstances particulières. Mais alors que ‘Baarakelaw’ trouve son chemin vers les playlists occidentales et les collections de vinyles, la capitale malienne vibre sur des rythmes bien différents. Dans les clubs et sur les smartphones de la jeunesse résonnent les beats wassoulu entraînants de TOP Mali et les productions modernes de Shamzino – un monde qui semble plus éloigné du blues désertique de Touré que le Sahara ne l’est de la Seine.
Les lignes de guitare de Samba Touré tissent à travers les neuf compositions comme des caravanes traversant le Sahel, portées par une production peut-être trop impeccable. C’est un son qui se sent plus à l’aise dans les cafés de musique du monde parisiens que dans la scène nocturne animée de Bamako, où la tradition se mêle sans effort aux beats trap et aux innovations électroniques. Là où les enregistrements à Bamako respiraient encore l’énergie brute des coupures de courant et de l’improvisation, le post-traitement français a donné à l’album un lustre qui masque parfois la texture originelle. C’est comme un plat traditionnel qui a mijoté un peu trop longtemps dans un restaurant étoilé.
‘Baarakelaw’ est comme la nouvelle Renault 5 E-Tech électrique : familière, fiable et dotée de tout le confort moderne – mais quelque part, on aspire aux imperfections pleines de caractère de la R5 originale des années 70. Le blues du désert, autrefois jailli organiquement de la terre rouge du Mali, est ici perfectionné en un produit d’exportation qui sait exactement ce que les oreilles occidentales veulent entendre. Dans ‘Paasekaw’, un hommage aux blanchisseurs qui repassent les vêtements, Touré traduit leurs mouvements répétitifs en un motif de guitare envoûtant qui respire l’authenticité, malgré – ou peut-être grâce à – la conscience que ces sons sont principalement destinés à l’exportation.
L’accord final ‘Yerkomahine’, l’ode de Touré à sa défunte épouse, évoque inévitablement les souvenirs des chansons d’amour déchirantes de Boubacar ‘Kar Kar’ Traore pour sa Pierrette. Mais là où la voix de Kar Kar tremblait d’une douleur si pure qu’elle pénétrait directement votre âme, la lamentation de Touré – bien que sincère – reste plus en surface. C’est comme la différence entre une lettre d’amour manuscrite et un sonnet soigneusement construit.
La production de Mark Mulholland, qui a ajouté des instruments supplémentaires en France, illustre parfaitement cette tension. Les parties de banjo et d’orgue ajoutées sont sans doute une concession au goût occidental, une tentative de rendre la beauté brute du jeu de guitare de Touré plus accessible aux oreilles européennes. Sous ce mix équilibré, on entend des bribes d’un son plus brut, plus honnête – comme un vent du désert qui souffle brièvement dans le studio parfaitement climatisé.
‘Baarakelaw’ est ainsi un document fascinant d’une tradition en transition – ou plutôt, d’une tradition soigneusement conservée en Occident alors qu’elle a depuis longtemps évolué vers de nouvelles formes dans son pays d’origine. C’est un album qui sonne comme une horloge – peut-être même trop. Un instantané parfait d’un Mali qui existe surtout dans l’imagination occidentale, tandis que le véritable Bamako danse sur des rythmes bien différents. Pour ceux qui cherchent une introduction accessible à la riche tradition musicale malienne, c’est néanmoins un excellent modèle d’entrée – un blues du désert qui roule aussi confortablement que cette nouvelle R5 électrique, même s’il manque ici et là un peu de caractère. (8/10)(Glitterbeat Records).