Chaque semaine, des dizaines de nouveaux albums arrivent à la rédaction de Maxazine. Beaucoup trop pour tous les écouter, encore moins pour les critiquer. Une critique par jour fait que trop d’albums restent de côté. Et c’est dommage. C’est pourquoi nous publions aujourd’hui un aperçu des albums qui arrivent à la rédaction sous forme de critiques courtes.
Shez Raja – Spellbound
La liste des musiciens qui participent à ‘Spellbound’ est assurément impressionnante, avec des noms comme Guthrie Govan (Asia, Steven Wilson, Hans Zimmer) à la guitare, Dennis Chambers (Steely Dan, Santana, John McLaughlin) à la batterie et la virtuose du sitar Roopa Penesar. Sitar ? Certainement, car le bassiste Shez Raja apporte son mélange familier de jazz-rock, fusion et funk avec des influences orientales. Malgré le choix de musiciens qui ont prêté leur concours à l’album, le rôle principal reste à la basse. Il est incroyable ce que Raja parvient à tirer de l’instrument – une basse cinq cordes spécialement construite pour lui. L’influence de légendes comme Jaco Pastorius est évidente, mais c’est justement en mélangeant le son avec des sonorités orientales qu’un son totalement personnel émerge. Dès les premières notes de l’ouverture ‘Quantum Spirits’, cette basse ondule, pivote et virevolte avec un groove irrésistible de piste en piste, dans lequel Raja laisse suffisamment d’espace aux guitares et aux cuivres. Un bel exemple est ‘Vishnu’, l’une des pistes où Dennis Chambers se charge de la batterie. Le riff de basse met tout en mouvement, puis le morceau se construit vers un duo entre la basse et la guitare de John Etheridge, avec comme point culminant une tentative de Chambers de propulser ses tambours à la vitesse de la lumière vers l’au-delà. L’un des rares moments de repos est la ballade ‘Together We Fly’, en même temps le seul morceau avec les magnifiques vocaux de Fiza Haider. C’est alors qu’on remarque d’autant plus avec quel soin cet album a été produit : grâce à un mastering brillant – votre critique a eu la chance de pouvoir l’écouter sur CD, un plaisir – c’est aussi un régal savoureux pour les audiophiles. (Jeroen Mulder)(8/10)(Gearbox Records)
Mark Guiliana – questions (volume one)
Le batteur polyvalent Mark Guiliana, connu pour son travail avec David Bowie et Brad Mehldau, déplace entièrement son focus vers la musique introspective au piano sur sa dernière sortie. En suite à son ‘MARK’ de 2024 nommé aux Grammy, Guiliana présente neuf ‘questions’ méditatives qui se déploient autour d’un piano droit intime, subtilement complété par des éléments électroniques. L’album s’ouvre magnifiquement avec ‘how can i help?’, où l’approche minimaliste de Guiliana ressort directement. Chacune des neuf pistes porte un titre interrogatif et se ressent comme un dialogue personnel entre l’artiste et l’auditeur. La production, assurée par son collaborateur habituel Stu Brooks, crée un univers sonore chaleureux et texturé dans lequel l’espace et le silence sont aussi importants que les notes jouées. ‘what is your question?’ clôt l’album avec des paysages cinématographiques qui résonnent longtemps. La transition de Guiliana de section rythmique à composante mélodique réussit excellemment. Son background de batteur est perceptible dans le timing subtil et la dynamique, mais ‘questions (volume one)’ se tient parfaitement sur ses propres jambes comme œuvre contemplative au piano. L’album demande de la patience et de l’attention, mais récompense l’auditeur concentré avec une expérience riche et émotionnelle qui convient aux heures tardives ou aux moments d’autoréflexion. (Jan Vranken) (7/10) (Edition Records)
Fred Hersch – The Surrounding Green
Le pianiste de 69 ans Fred Hersch livre avec son troisième album ECM un chef-d’œuvre d’interaction en trio. Avec le bassiste Drew Gress et le batteur Joey Baron, tous deux partenaires musicaux de plusieurs décennies, il a enregistré cet album intime dans le renommé Auditorio Stelio Molo à Lugano sous la direction experte du producteur Manfred Eicher. Les sept pistes combinent trois originaux de Hersch avec des classiques retravaillés d’entre autres Ornette Coleman (‘Law Years’) et George Gershwin (‘Embraceable You’). Les propres compositions de Hersch rayonnent d’intensité lyrique. Le morceau-titre se déploie comme une invention mélodique intemporelle, tandis qu’Anticipation’ introduit un groove latin irrésistible. La chimie du trio est extraordinairement raffinée ; la dynamique géniale de Joey Baron et l’approche harmonique familière de Drew Gress créent un équilibre parfait entre intimité et expansivité. Particulièrement émouvante est l’interprétation de ‘First Song’ de Charlie Haden, où l’histoire partagée entre les musiciens devient palpable. L’usage par Hersch de l’espace et du silence montre sa vision artistique mature, où chaque note semble essentielle. Les valeurs de production caractéristiques d’ECM captent parfaitement chaque nuance du toucher de Hersch et de l’interaction du trio. Un album à la fois enraciné dans les traditions jazz et repoussant les limites. Un chef-d’œuvre contemporain. (Jan Vranken) (9/10) (ECM Records)
Nikki Nair – Violence is the Answer
Le producteur basé à Atlanta Nikki Nair a surpris en juin avec cet EP de six pistes, plein de son ‘sound design caoutchouteux’ caractéristique et de collaborations éclectiques. Les artistes invités yunè pinku, Uffie (Ed Banger Records), Blaketheman1000 et Harmony Tividad ajoutent chacun leur propre couleur à cette chevauchée énergique à travers l’acid house, le Baltimore club et l’electronica moderne. L’album tourne selon Nair autour de ‘payer les impôts, payer le loyer, avoir du travail, les relations’, ce qui résulte en des pistes étonnamment accessibles sur les soucis quotidiens. ‘The Button’ et ‘Just Wanna Know’ (tous deux avec Uffie) brillent par leur énergie contagieuse et leurs détails de production aiguisés. Nair combine des stabs de piano, des synthétiseurs acides et des vocaux stratifiés en un ensemble qui sonne à la fois dansant et expérimental. Avec seulement vingt minutes de temps de jeu, l’EP semble parfois trop court, mais cela correspond à la philosophie de Nair d’impact concentré. La diversité des invités garde chaque morceau frais, bien que la courte durée aille parfois au détriment d’un développement plus profond. ‘Violence is the Answer’ est une déclaration d’un producteur qui sait comment rassembler la culture club moderne et les histoires personnelles en quelque chose d’unique dans le genre electronica. (Elodie Renard) (6/10) (Future Classic)
Hannah Brine – Blue Sky Now
‘Blue Sky Now’ est l’album de début de la chanteuse/compositrice britannique Hannah Brine. N’attendez cependant pas un album singer/songwriter typique : avec cette étiquette, nous rendons un mauvais service à Brine et à la variété de styles sur l’album. De la samba dans le single et piste d’ouverture ‘One Precious Life’ jusqu’au retenu et particulièrement beau ‘Little Bird’ dans lequel elle n’est accompagnée que par un piano, et justement le riche arrangement complet avec cordes dans ‘Goodbye London’. Mais ce qui frappe surtout dans les douze compositions personnelles, ce sont les paroles. Brine se montre une excellente conteuse dans ses textes et c’est justement là que réside la connexion avec les meilleurs singer/songwriters. La comparaison avec Joni Mitchell s’impose rapidement, si ce n’était que la voix de Brine est d’un tout autre calibre : plus pleine, plus sensuelle – et cela s’accorde alors parfaitement avec le genre prédominant sur l’album. Car ‘Blue Sky Now’ a une vibe jazz indéniable. Le point culminant de l’album est ‘You Make Me Believe In Love’ dans lequel tout se rassemble : texte, arrangement et la voix de Brine. “You make my heart sing at last,” chante Brine. Nous ne pouvons qu’acquiescer. (Jeroen Mulder)(8/10)(Hannah Brine)