Quand un réalisateur revisite son propre classique, il y a de quoi s’inquiéter. Mais Mathieu Kassovitz a réussi un coup de maître avec la version musicale de “La Haine”. Ce qui a commencé comme une expérience audacieuse est devenu l’une des productions les plus marquantes de cette saison théâtrale. Soyons honnêtes : combiner un film sombre sur les violences policières et l’injustice sociale avec un spectacle de théâtre musical pourrait sembler, sur le papier, être une recette pour un échec. Mais le producteur Proof, connu pour son travail avec The Blaze et les Gipsy Kings, a donné une leçon magistrale de narration musicale. Il a rassemblé une distribution qui ressemble à un “who’s who” de la scène musicale française.
Le vétéran du hip-hop Akhenaton (connu du groupe IAM) se tient aux côtés de Clara Luciani, tandis qu’Oxmo Puccino – considéré par beaucoup comme le Nas français – mélange son art de la parole caractéristique avec les vibrations électroniques de The Blaze. La plus grande surprise ? Youssef Swatt’s, le gagnant de Nouvelle École, qui apporte une énergie nouvelle et fait le lien entre l’ancienne école et la nouvelle génération. Le résultat ? Douze tableaux musicaux qui vous prennent à la gorge. La scène d’ouverture, où la chanson française classique se fond harmonieusement dans des beats puissants, donne immédiatement le ton. Cela rappelle cette scène iconique du film original où DJ Cut Killer mélangeait Edith Piaf avec “Sound of da Police” de KRS-One – mais version 2024.
Ce qui rend cette production si spéciale, c’est l’équilibre entre le respect de l’original et une fraîcheur contemporaine. Alors que le film était tourné en noir et blanc, la musique est quant à elle en couleurs vives. -M- (Matthieu Chedid) ajoute avec sa guitare des couches psychédéliques à ce qui aurait pu être une production purement hip-hop. Les nuances électroniques de The Blaze donnent à l’ensemble une touche moderne qui s’accorde parfaitement avec le caractère urbain de l’histoire. Ce qui impressionne le plus, c’est peut-être la manière dont la musique parvient à recréer la tension du film original. Des beats trap aux interludes jazzy, chaque choix musical soutient l’histoire. Les paroles sont incisives et actuelles, tout en évitant les clichés. Quand Oxmo Puccino rappe sur la tension dans les banlieues, on ressent le poids de trente ans d’histoire du hip-hop français. Pourtant, il ne s’agit pas d’un projet nostalgique. La production sonne étonnamment moderne, en grande partie grâce à la production contemporaine de Proof. Il a réussi à fusionner différents styles – du rap old school à l’électro moderne – en un ensemble cohérent. C’est une opéra urbaine pour la génération TikTok, mais avec suffisamment de profondeur pour captiver aussi les amateurs de musique chevronnés.
Est-ce parfait ? Non. Parfois, le message risque de se perdre dans l’excès musical. Mais ce sont des détails mineurs dans une production qui montre surtout à quel point “La Haine” reste pertinente. Le hip-hop français est passé de l’underground au mainstream en trente ans, mais les thèmes de l’injustice sociale restent malheureusement toujours d’actualité.
Cette réinterprétation musicale mérite un solide 8. Non seulement pour la distribution et la production impressionnantes, mais surtout parce qu’elle montre à quel point la combinaison du théâtre et du hip-hop peut être puissante. Un incontournable pour quiconque s’intéresse à l’état de la musique urbaine française en 2024. Conseil : gardez un œil sur la playlist Spotify – si ce spectacle a le même impact que le film, ces morceaux deviendront les nouveaux classiques du hip-hop français. (8/10) (Production La Haine).