Rome, 1956. Ennio (Silvio Orlando), la cinquantaine bien entamée et l’allure un peu terne d’un fonctionnaire, est propriétaire et rédacteur en chef d’un journal communiste. Il est communiste dans l’âme, pense que le communisme devrait être le principe directeur politique et suit à la lettre la ligne idéologique politique qui émane de Moscou. Ennio veut faire le bien et sa plus grande réussite est d’avoir réussi, grâce à son influence auprès de la municipalité, à éclairer un quartier défavorisé de Rome. Cela suscite l’admiration, notamment de la couturière Vera (Barbora Bubylova), qui est même secrètement amoureuse d’Ennio. C’est alors que la section de Rome du parti communiste décide d’inviter un cirque hongrois pour divertir la population. Le cirque, dirigé par son directeur (Zsolt Anger), donne des représentations enthousiastes qui sont accueillies favorablement par la population romaine. Mais l’ambiance change soudain lorsque les troupes russes envahissent la Hongrie. Les artistes du cirque refusent de continuer à jouer et un fossé menace de se creuser au sein du parti. Ennio, qui souhaite rester fidèle aux directives de Moscou, se heurte à Vera, qui exige que le Parti communiste italien condamne l’invasion et que le parti suive sa propre voie.
Rome 2023. C’est cette histoire que le réalisateur Giovanni (Nanni Moretti) souhaite filmer. Mais le tournage sera un enfer. Les acteurs remplissent les rôles à leur guise, son producteur français Pierre Cambou (Mathieu Amalric) s’avère tout sauf fiable, le producteur Netflix exprime ses objections parce qu’il craint que le film manque d’attrait international (car, répète-t-on, Netflix peut être vu dans 190 pays) et que le film de Giovanni manque d’un moment de folie, il doit travailler avec une équipe qui pensait que les communistes n’existaient qu’en URSS et, enfin, les deux éléphants allemands ne veulent pas travailler avec les deux éléphants français. Mais les problèmes ne s’arrêtent pas là. En coulisses, sa femme Paola (Margherita Buy), qui est aussi la productrice de tous les films de Giovanni, organise le divorce et il s’avère que l’une de ses filles, Emma (Valentina Romani), a une liaison avec Jerzy (Jerzy Stuhr), un employé de l’ambassade polonaise du même âge que Giovanni.
Il Sol dell’ Avvenire” est en grande partie un film sur la réalisation. En cela, Nanni Moretti n’est pas le premier à aborder ce sujet. Federico Fellini l’a déjà fait avec ‘Otto e Mezzo’ (1963) et François Truffaut avec ‘La nuit Americaine’ (1973). Ce sont donc des chaussures de taille que Nanni Moretti souhaite remplir, et précisons-le tout de suite. Il Sol dell’ Avvenire’ de Moretti reste dans l’ombre des films de Fellini et de Truffaut. Mais cela dit, il y a encore beaucoup de choses à apprécier. C’est du moins ce que j’ai pensé ; Roosje van der Kamp, dans sa critique quelque peu acerbe du numéro de juillet de De Filmkrant, pensait tout autrement lorsqu’elle qualifiait le film de Moretti de “complaisant et sans joie”. Il est vrai qu’un certain degré de complaisance n’est pas étranger à Moretti, mais le film est loin d’être sans joie.
Moretti réfléchit à l’état du cinéma contemporain et constate que le monde est en train de changer. Bien sûr, il est toujours incroyablement difficile de faire un film, il y a d’innombrables ours sur la route et le climat cinématographique actuel est très axé sur le spectacle et la sensation (c’est quoi ce bordel !), l’enthousiasme semble être confondu avec le talent (crier que quelque chose est fantastique n’est pas nécessairement la même chose que de dire que c’est fantastique) et la démesure est plus appréciée que la conviction. Giovanni, comme Moretti, est de la vieille école et il y a un air d’autrefois autour de “Il Sol dell’ Avvenire”. Mais aussi par amour du cinéma. Giovanni respire le cinéma.
Toutes ses actions aboutissent à ce support, qu’il s’agisse de citer une scène du film “The Chase” d’Arthur Penn (1966), de montrer un extrait de “Lola” de Jacques Demy (1961) ou de “Otto e Mezzo” de Fellini. Moretti ne peut même pas s’empêcher de se citer lui-même. Alors que dans son ‘Caro Diario’ (1993), il parcourt Rome en scooter, Moretti récidive avec une scène où Pierre et Giovanni parcourent Rome en scooter électrique. L’amour pour le studio romain Cinecitta (où Giovanni tourne son film) est également très clair. Il fait parler Giovanni de cinéma avec inspiration mais aussi avec une inquiétante attitude de donneur de leçons. Et c’est là que la plus grande faiblesse de Giovanni, et peut-être de Moretti lui-même, finit par se manifester : la rigidité. Le réalisateur n’est pas conscient de l’évolution des temps ni du fait que sa relation est en train de s’estomper.
Avec Giovanni, tout s’accroche à des rituels, à des règles, comme avec le film en cours de réalisation, Ennio semble s’accrocher à la rigide ligne politique soviétique. Il n’y a plus de “si”. Si seulement nous faisions ceci, si seulement nous regardions de cette façon, bref si nous regardions les options et les possibilités. C’est la solution, même si elle est simple. À partir du moment où Giovanni opte pour le “si”, la fiction et la réalité se mélangent de plus en plus et la réalité ressemble de plus en plus à un film. Au lieu d’un film sur le pessimisme ultime, il devient un film pour une fin heureuse, avec un accompagnement musical. Quelque part dans le film, Giovanni fait dire à Paolo qu’il préférerait faire un film avec beaucoup de chansons. Ce n’est que rétrospectivement que l’on s’aperçoit, en tant que spectateur, que “Il Sol dell’ Avvenire” est exactement cela. Moretti a un peu gâché la fin de “Il Sol dell’ Avvenire” en la clôturant par un texte sur fond rouge indiquant qu’en 1956, le parti communiste italien s’est détaché de la ligne soviétique et a ensuite suivi sa propre voie afin que les bénédictions de Marx et d’Engels puissent encore atteindre le peuple italien d’aujourd’hui. C’est inutilement pamphlétaire, trop politique, trop dogmatique, et oui, trop peu de “si”.
Réalisateur : Nanni Moretti.
Acteurs : Nanni Moretti, Margherita Buy, Silvio Orlando, Barbara Bobulova, Mathieu Amalric, Valentina Romani, Flavio Fumo, Zsolt Anger, Jerzy Stuhr, Teco Celio, Giuseppe Scodiitti, Valerio Da Silva,Angelo Galdi, Ariana Pozzoli, Francesco Brandi, Laura Nardi, Arianna Serrao, Blu Yoshimio.
Vu, où : Filmhuis Zicht, Sittard.
Notation : 7