Après des années à s’établir comme rappeur et producteur redoutable dans le paysage hip-hop italien, l’artiste né à Lecce, Big Dega, fait un bond artistique audacieux avec “Un Disordine Qualsiasi” (“Un Désordre Quelconque”), son septième album et première œuvre entièrement instrumentale. Cette collection de neuf paysages sonores méticuleusement élaborés témoigne de l’évolution de Big Dega, passant de forgeur de mots à architecte sonore, présentant une riche tapisserie d’échantillons, de beats et de textures atmosphériques qui parlent volumes sans prononcer un seul mot.
L’album s’ouvre avec “Dimenticar”, un morceau construit autour d’un beat irrésistiblement décalé associé à des samples qui semblent tout droit sortis des années 1920. Cette esthétique de voyage dans le temps établit immédiatement la prédilection de l’album pour les juxtapositions inattendues et les déplacements temporels. Sans transition, “Escape” suit avec une percussion robuste qui évoque le charme nostalgique des bandes sonores des premiers jeux vidéo et des démos informatiques, rappelant la “Unreal Demo” de la fin des années 80 et du début des années 90.
“You” sert de premier moment de répit de l’album, incorporant des éléments de piano classique qui offrent un contrepoint mélodique aux morceaux plus rythmiques. Cette brève interlude prépare le terrain pour “Terra”, peut-être la composition la plus surprenante de l’album, qui s’aventure dans un territoire proche du chant grégorien tout en conservant le style de production caractéristique de Big Dega.
À mi-parcours, “Vetri” révèle les tendances expérimentales du producteur. Ce morceau défie toute catégorisation facile, défiant de manière ludique les attentes des auditeurs tout en démontrant la volonté de Big Dega de repousser les limites. Il est suivi par “Rush”, une représentation sonore du chaos métropolitain où notes de clavecin, beats tonitruants, motifs de synthétiseurs et échantillons disparates se heurtent pour créer un paysage sonore urbain étonnamment cohérent.
“Over” revient à un tempo plus contemplatif, offrant un autre moment de calme bien placé avant que “Disordine” n’arrive avec sa fondation rythmique serrée, ses synthétiseurs hypnotiques et ses effets ludiques. Le morceau-titre de l’album incarne parfaitement le chaos organisé qui définit cette collection, équilibrant structure et spontanéité avec une finesse remarquable.
Clôturant le voyage, “Istante” fait écho de manière notable aux éléments du morceau d’ouverture “Dimenticar”. Cette structure d’encadrement intelligente crée une circularité satisfaisante qui donne à l’ensemble de l’album un sentiment d’achèvement et de finalité. Avec une durée totale d’un peu moins de 22 minutes, “Un Disordine Qualsiasi” est concis mais substantiel, chaque morceau offrant une ambiance distincte tout en contribuant à un ensemble cohérent.
Ce qui est particulièrement impressionnant dans cet album, c’est la capacité de Big Dega à maintenir sa voix distinctive malgré l’absence de paroles. Ses signatures de production — échantillons stratifiés, construction méticuleuse des beats et associations sonores inattendues — créent un récit tout aussi captivant que ses œuvres précédentes axées sur la voix. Pour les fans de longue date, ce virage instrumental ne représente pas un abandon de ses racines mais une expansion de sa vision artistique.
“Un Disordine Qualsiasi” s’érige comme un témoignage de la croissance de Big Dega en tant que producteur et de sa volonté de prendre des risques créatifs. C’est une écoute gratifiante pour ceux qui apprécient le hip-hop instrumental, la musique électronique aux sensibilités analogiques, ou simplement l’art de la création de paysages sonores. En créant ce magnifique désordre, Big Dega a trouvé un ordre nouveau et passionnant dans son expression musicale. (8/10) (Big Dega)