Rob Clearfield – Voice in the Wilderness

Après des années passées dans l’ombre comme sideman estimé auprès de figures telles que Makaya McCraven, le pianiste Rob Clearfield s’avance enfin pleinement sous les projecteurs avec ‘Voice in the Wilderness’ – un album qui révèle d’emblée pourquoi ce musicien de Chicago jouit d’une telle estime parmi ses pairs. Il s’agit d’une œuvre mature et réfléchie qui tisse la poésie lyrique de la scène chicagoenne avec une signature personnelle reconnaissable.

Clearfield, qui vit à Paris depuis 2019, a réuni pour ce projet un casting de rêve. Le contrebassiste Joe Sanders, connu pour son travail avec Gerald Clayton et Charles Lloyd, établit avec le batteur Fred Pasqua une fondation rythmique d’acier. Sur quatre pistes, le trompettiste Itamar Borochov ajoute sa sonorité chaleureuse et expressive, conférant à l’ensemble une dimension supplémentaire. Particulièrement notable est l’implication de Makaya McCraven, qui a produit deux morceaux et imprime ainsi sa marque sur cette déclaration intime mais puissante.

L’album s’ouvre avec ‘Fields’, une composition contemplative où Clearfield révèle immédiatement sa touche pianistique. Son jeu se caractérise par un équilibre raffiné entre profondeur intellectuelle et immédiateté émotionnelle – pensez aux qualités lyriques de Brad Mehldau conjuguées à l’inventivité harmonique de Kurt Rosenwinkel. Le morceau-titre, scindé en deux parties, forme le cœur émotionnel de l’album. ‘Voice in the Wilderness (Part 1)’ fut enregistré à Paris et montre Clearfield et Borochov en dialogue intime, tandis que ‘Part 2’ clôt l’album avec retenue mais puissance.

Ce qui rend cet album particulier, c’est la capacité de Clearfield à faire converger différents univers musicaux sans artificialité. Son background en rock progressif (District 97) et en musique classique (il cite Brahms comme influence majeure) transparaît subtilement dans ses choix harmoniques et sa construction structurelle. Simultanément, il demeure solidement enraciné dans la tradition jazz, avec un clin d’œil à la beat-music organique de son mentor McCraven.

La production, assurée par Ben Rando dans le Studio Eole français, respire la juste atmosphère. Le son est intime et chaleureux, chaque instrument trouvant son espace propre sans que la chimie d’ensemble ne se perde. La basse de Sanders chante littéralement, le travail de batterie de Pasqua est subtil mais porteur, et le piano de Clearfield sonne plein et résonant.

‘Voice in the Wilderness’ n’est pas un album qui vous saisit immédiatement à la gorge, mais une œuvre qui se révèle lentement à l’écoute répétée. C’est une musique pour les fins de soirée, pour les moments de recueillement et de contemplation. Clearfield se montre ici comme un compositeur qui comprend que moins peut souvent signifier plus – nulle note superflue, nul solo tape-à-l’œil, mais bien une émotion profonde et une intelligence musicale.

La seule chose qui empêche cet album de devenir un chef-d’œuvre est une certaine prudence. Clearfield pourrait oser davantage expérimenter et repousser ses limites. Mais c’est là critiquer à un niveau élevé pour un album qui tient la promesse de l’un des musiciens de jazz les plus poétiques de Chicago.

Avec ‘Voice in the Wilderness’, Rob Clearfield prouve qu’il est prêt pour les premiers rangs. Une déclaration convaincante d’un artiste mûr qui a enfin trouvé sa propre voix. (8/10) (jazz&people)