Perles de la pop : L’histoire derrière Japan – “Nightporter”

En novembre 1982, le groupe britannique de new wave Japan sortit son single “Nightporter”, précisément un mois avant que le groupe ne cesse d’exister. Le morceau, enregistré à l’origine pour l’album “Gentlemen Take Polaroids” de 1980, connaît une nouvelle sortie deux ans plus tard grâce à un remix single de Steve Nye. Le single servit d’adieu approprié d’un des groupes d’art rock les plus influents de leur époque.

“Nightporter” raconte l’histoire de l’évolution artistique de Japan, du glam rock à la synthpop raffinée, et montre pourquoi leur musique reste pertinente des décennies plus tard. Le morceau relie leurs deux albums principaux et met en avant le groupe à son apogée créatif, juste avant sa séparation.

Japan

Japan a été formé en 1974 à Catford, dans le sud de Londres, par David Sylvian (chant, guitare, claviers), Steve Jansen (batterie) et Mick Karn (guitare basse), qui furent rejoints l’année suivante par Richard Barbieri (claviers) et Rob Dean (guitare principale). Initialement un groupe inspiré par le glam rock, ils deviendraient des pionniers du mouvement new wave.

Le groupe Japan était composé de camarades d’école qui faisaient de la musique pour s’échapper. David Sylvian, né David Alan Batt en 1958 à Beckenham, Kent, a commencé sa carrière musicale en 1974 avec son frère cadet Steven et le bassiste virtuose Anthony Michaelides, qui deviendrait plus tard Mick Karn. Le trio s’est teint les cheveux, portait du maquillage et cherchait son chemin dans la scène musicale glamour du milieu des années 1970.

Au départ, Mick Karn était le chanteur principal avant que David Sylvian n’assure ce rôle. Le groupe a été rejoint par le claviériste Richard Barbieri et le guitariste Rob Dean en 1975, et ils ont signé un contrat d’enregistrement avec le label de disco allemand Hansa en 1977. Chez Hansa, ils ont enregistré trois albums studio : “Adolescent Sex” (1978), “Obscure Alternatives” (1978) et “Quiet Life” (1979).

Le son de Japan a évolué rapidement de ses premières influences de glam rock vers une approche plus raffinée qui combinait des éléments orientaux avec la synthpop européenne. La voix de baryton distinctive de David Sylvian, le jeu de basse frettée expérimentale et le saxophone de Mick Karn, le travail de synthétiseur subtil de Richard Barbieri et la batterie précise de Steve Jansen créaient un son unique qui les distinguait de leurs contemporains.

Nightporter

“Nightporter” a ses racines dans la phase expérimentale de Japan lors de l’enregistrement de “Gentlemen Take Polaroids”. Le morceau a été nommé d’après le film controversé de Liliana Cavani “Il Portiere di Notte” (Le Portier de Nuit) de 1974, un choix typique de la tendance de Japan à incorporer des références artistiques et littéraires dans leur travail.

Le single a été publié en novembre 1982, un mois avant la séparation du groupe. À l’origine, Virgin Records avait prévu de sortir le morceau précédemment non publié “Some Kind of Fool” des sessions d’enregistrement de “Gentlemen Take Polaroids” en tant que single, mais celui-ci a été remplacé par “Nightporter”. Cette décision s’avéra être la bonne.

Pour la version single, Mick Karn a spécifiquement réenregistré sa partie de hautbois pour cette version mise à jour de “Nightporter”. Le remix de Steve Nye a ajouté de nouvelles dimensions à la piste d’album originale, conservant les qualités oniriques tout en augmentant l’attrait commercial.

Le morceau se caractérise par les vocals hypnotiques de Sylvian qui flottent sur un arrangement instrumental lent et contemplatif. La basse sans frettes de Mick Karn crée un son presque semblable à un violon qui s’harmonise parfaitement avec le travail de synthétiseur atmosphérique de Richard Barbieri. La batterie de Steve Jansen est minimaliste mais efficace, avec chaque coup parfaitement placé pour soutenir l’atmosphère éthérée.

La face B du single était “Ain’t That Peculiar”, l’interprétation de Japan du classique de Marvin Gaye. Leur version a complètement transformé la piste Motown originale, remplaçant le groove funky par leur approche caractéristique lente et hypnotique.

La Reprise de Brett Anderson

Plus de quatre décennies après l’enregistrement original de Japan, “Nightporter” a connu une nouvelle vie grâce à une remarquable reprise de Brett Anderson, le chanteur iconique de Suede. Cette interprétation est apparue sur l’album “Death Songbook” de 2024, une collaboration entre Anderson, le chef d’orchestre Charles Hazlewood et Paraorchestra, décrit comme ‘un album de musique qui parle de la mort, ou de la mort de l’amour, de la perte, de la peur.’

Le choix de “Nightporter” par Anderson correspondait parfaitement à son ADN artistique. Comme il l’a lui-même noté, ‘J’ai toujours trouvé le matériel sombre convaincant’, et le chef-d’œuvre contemplatif de Japan lui offrait la parfaite opportunité d’explorer cette préférence dans un cadre orchestral. Le morceau apparaît comme la troisième chanson de la setlist de “Death Songbook”, positionnée entre “The Killing Moon” d’Echo & The Bunnymen et “The End of the World” de Skeeter Davis.

La réinterprétation orchestrale transforme l’original en quelque chose d’entièrement nouveau. Là où la version de Japan s’appuyait sur des synthétiseurs et la guitare basse expérimentale de Mick Karn, Paraorchestra apporte une dimension riche et classique au morceau. Le vibrato distinctif d’Anderson et sa portée émotionnelle donnent une nouvelle urgence aux paroles, tandis que les cordes et les bois ajoutent des couches de mélancolie que l’arrangement électronique original ne pouvait pas atteindre.

Gentlemen Take Polaroids

“Gentlemen Take Polaroids” était le premier album du groupe pour le label Virgin Records après avoir quitté Hansa-Ariola, qui avait publié leurs trois premiers albums. Il a poursuivi la ligne de leur album précédent “Quiet Life”, s’appuyant sur le style élégant de l’Euro-disco associé à des arrangements plus ambitieux.

L’album a été publié le 7 novembre 1980 et s’est classé au numéro 51 au Royaume-Uni, mais est réentré dans les classements en 1982 et a reçu la certification or en 1986 de la part de l’industrie phonographique britannique pour 100 000 exemplaires vendus.

Le quatrième album de Japan était l’œuvre où ils commençaient enfin à sonner comme eux-mêmes et c’est devenu le tournant de leur fortune commerciale au Royaume-Uni. C’était aussi l’album sur lequel Sylvian commençait à prendre la tête. Magnifiquement positionné entre leur sensibilité pop et leur avenir d’art rock, GTP a également marqué le début de la fin de Japan.

L’album contenait huit morceaux, dont six duraient plus de cinq minutes, inhabituels pour la musique pop radiophonique de cette époque. Le producteur John Punter, un vétéran de Roxy Music qui avait également produit “Quiet Life”, revint pour ce projet. Bien que certains aient trouvé l’album plus froid que son prédécesseur, il offrait d’excellents ponts entre les différentes phases de Japan, avec des morceaux comme “Methods of Dance” qui formaient une connexion pulsante fantastique.

“Gentlemen Take Polaroids” était le dernier album sur lequel Rob Dean jouerait en tant que cinquième membre du groupe, marquant la fin d’une ère. Son départ en 1981 ramènerait le groupe à un quatuor pour leur dernier album studio “Tin Drum” (1981).

Quiet Life

L’album antérieur “Quiet Life” de 1979 était crucial pour le développement artistique de Japan et a servi de prédécesseur direct à “Gentlemen Take Polaroids”. C’était leur troisième album studio et le premier à montrer leur son ultérieur plus raffiné. Alors que leurs deux premiers albums s’appuyaient encore fortement sur les influences du glam rock, “Quiet Life” montrait un groupe qui avait trouvé sa propre identité.

L’album a été produit par John Punter et présentait la piste titre qui deviendrait plus tard l’une de leurs chansons les plus connues. “Quiet Life” a introduit le son synthpop élégant qui caractériserait Japan, avec les performances vocales de plus en plus confiantes de David Sylvian et l’intérêt croissant du groupe pour les arrangements plus subtils et atmosphériques.

Bien que “Quiet Life” n’ait pas été un grand succès commercial à sa sortie, il a jeté les bases de tout ce qui suivrait. La production raffinée, l’attention portée aux détails et la combinaison de la pop occidentale avec l’esthétique orientale deviendraient caractéristiques du son de Japan. L’album a également montré le rôle croissant de Mick Karn en tant que multi-instrumentiste, alors qu’il commençait à jouer du saxophone et d’autres instruments à côté de la basse.

La transition de “Quiet Life” à “Gentlemen Take Polaroids” représentait une évolution naturelle pour le groupe. Les deux albums partageaient le même producteur et la même vision artistique, mais “Gentlemen Take Polaroids” montrait un groupe qui était encore plus confiant dans sa direction artistique. Cette continuité rendait possible pour un morceau comme “Nightporter” de fonctionner ultérieurement comme un single, malgré le fait qu’il n’avait pas été écrit à l’origine pour ce but.

Le succès de “Nightporter” en tant que single en 1982 a prouvé que la vision artistique de Japan de “Quiet Life” à “Gentlemen Take Polaroids” était intemporelle. Leur capacité à faire une musique complexe et atmosphérique qui restait quand même accessible aurait une influence durable sur les générations de musiciens à venir. Le morceau reste un testament d’un groupe qui a refusé de faire des compromis entre l’intégrité artistique et l’attrait commercial.