Au cœur de Bruxelles, le 11 avril 2025, l’étage supérieur de l’Ancienne Belgique s’est métamorphosé en un sanctuaire musical. L’AB, autrefois une maison de guilde du 15ème siècle et aujourd’hui l’une des salles de concert les plus chéries de Belgique, reste fidèle à sa mission : offrir une scène tant aux grandes étoiles qu’aux perles cachées de la scène musicale internationale. Le club s’est rempli d’une communauté de fins connaisseurs, de personnes qui n’avalent pas la musique mais la vivent. Pendant que nous attendions la tête d’affiche Oddisee – que les “connaisseurs de hip-hop” continuent hélas de sous-estimer – Mad Keys a pris possession de la scène. Le multi-instrumentiste de St. Louis a déployé son EP ‘Currents’ avec une précision stupéfiante ; son jeu de clavier aux inspirations jazz a tissé un tapis sonore dans lequel la salle s’est laissée emporter sans effort.
La chimie s’est intensifiée lorsque Mad Keys a présenté le MC éthiopien-américain Heno. Ensemble, ils ont interprété des morceaux de leur album récent ‘Healing Out Loud’, où ‘Lemons Made Better’ s’est révélé être un moment culminant. La joie authentique de ces artistes durant leur première tournée européenne était contagieuse. Heno a complètement brisé le quatrième mur en plongeant dans la salle, transformant ainsi le concert en une célébration collective. Voilà précisément ce que les concerts doivent être : plus qu’un divertissement, des moments de culture partagée et de connexion. Des gaufres, Mad Keys et Heno en avaient déjà mangé selon leurs dires, les frites suivraient après le spectacle. Leur soirée était réussie.
L’arrivée d’Oddisee avec son groupe Good Company a élevé la soirée à un niveau encore supérieur. Leur interaction extraordinaire – un bassiste semblant invoquer des fréquences cosmiques, un batteur implacable et des touches subtiles – a formé la toile parfaite pour les raps incisifs d’Oddisee. La célébration anniversaire de ‘The Good Fight’ ne s’est pas ressentie comme une rétrospective nostalgique mais comme une réaffirmation de l’intemporalité de son œuvre, avec des morceaux comme ‘That’s Love’ et ‘Counter-Clockwise’ qui résonnaient avec autant d’urgence qu’il y a dix ans.
Entre les classiques, Oddisee a présenté du matériel d’un prochain EP, prouvant que sa vision artistique continue d’évoluer. La salle réagissait instinctivement, une mer ondulante de corps en parfaite synchronicité avec la musique. Love, Peace and Music.
Un moment fort inattendu est né lorsqu’un fan a désespérément fait passer un billet vers la scène. Sans perdre son flow, Oddisee l’a lu – des excuses pour du matériel vidéo perdu d’un spectacle précédent. “Et tu devais absolument me faire savoir cela maintenant, pendant le spectacle ?” a-t-il plaisanté, un moment de connexion authentique qui a complètement comblé la distance entre l’artiste et le public.
Ce qui a rendu cette soirée si particulière était l’échelle parfaite : un artiste du calibre d’Oddisee dans un espace qui contenait parfaitement son énergie. L’AB Club est devenu un refuge temporaire où les considérations commerciales se sont évaporées, ne laissant que l’essence pure de la musique. On ose à peine souhaiter à Oddisee une reconnaissance plus large – non par égoïsme, mais par crainte que la machinerie du succès mainstream puisse diluer l’authenticité qui rend ses performances si spéciales. Après ce concert à l’AB Club, une pensée persistait : à une époque de playlists algorithmiques et de hits viraux manufacturés, des artistes comme Oddisee représentent quelque chose d’essentiel – le pouvoir transformateur du hip-hop comme expression personnelle et célébration collective. Ce fut sans doute l’un des concerts les plus mémorables de 2025.