Le chemin de Blackwood à 2025 en est un que peu de groupes ont réussi à parcourir. Quelque part entre les mines abandonnées du Pays de Galles et les façades scintillantes de l’industrie musicale moderne, les Manic Street Preachers n’ont pas seulement survécu, ils ont évolué en quelque chose que même leurs versions plus jeunes et militantes regarderaient avec un respect contradictoire.
‘Critical Thinking’, le quinzième album du groupe, arrive comme un vieil ami qu’on n’a pas vu depuis des années, et qui n’a fait que gagner en sagesse. La première piste dissèque immédiatement l’obsession moderne pour le bien-être et la pleine conscience, avec Nicky Wire sonnant comme un prophète sardonique qui délivre ses avertissements sur une bande sonore qui aurait fait sourire Gang of Four.
C’est cependant ‘People Ruin Paintings’ qui s’avère être le joyau central de l’album. Avec son commentaire ambigu sur le ‘cadrage’ et la perception (‘J’ai regardé dans un million d’yeux/Ils finissent tous morts et détruits’), le groupe livre le genre d’énigme intellectuelle dont ils ont le secret. C’est de la poésie qui rocke, de la philosophie qui danse.
‘Decline and Fall’, co-écrit avec les vétérans de Squeeze, Difford et Tilbrook, unit les flourishes de piano façon ABBA que nous connaissons de ‘The Ultra Vivid Lament’ avec une urgence rappelant leurs premiers travaux. C’est comme si le groupe avait enfin trouvé l’équilibre parfait entre leur passé punk et leurs ambitions plus orchestrales.
La présence du producteur de longue date Dave Eringa comme co-compositeur sur ‘Out of Time Revival’ apparaît comme une évolution naturelle. Après des décennies à façonner le son du groupe, de l’énergie brute de ‘Generation Terrorists’ à la grandeur de ‘This Is My Truth Tell Me Yours’, il a finalement ajouté sa voix au processus d’écriture.
‘Dear Stephen’ est peut-être le morceau le plus surprenant, une réflexion mélancolique sur le jeune Morrissey et Philip Larkin qui démontre que le groupe peut toujours naviguer sans effort entre la culture pop et la littérature. C’est un morceau qui ne pouvait être écrit que par des personnes ayant vécu assez longtemps pour apprécier l’ironie de leurs propres obsessions de jeunesse.
La confiance du groupe se manifeste non seulement dans la musique, mais aussi dans la stratégie de sortie : onze formats différents en précommande, du vinyle à la cassette, suggère un groupe qui sait qu’il tient quelque chose de spécial. Ils ont raison. C’est un album qui grandit à chaque écoute, dévoilant des couches, révélant de nouvelles significations.
Avec ‘Critical Thinking’, les Manic Street Preachers prouvent qu’ils restent l’une des voix les plus pertinentes du rock britannique. Ce n’est pas une révolution – le groupe est devenu trop sage pour cela – mais un raffinement de tout ce qu’ils font de mieux. Un solide 8/10, seul le manque d’innovation musicale complète l’empêchant d’atteindre un 9.
À une époque où beaucoup de leurs contemporains ont soit disparu, soit sont devenus des actes de nostalgie, les Manics continuent de regarder vers l’avant sans renier leur passé. Ils sont comme cet écrivain rare qui devient plus sage avec chaque livre, ce vin rare qui s’enrichit chaque année. Les bibliophiles du rock britannique ont encore beaucoup de pages à remplir, et si cet album prouve une chose, c’est que leur plume est loin d’être tarie. (8/10)(Columbia).